La classe « Regards européens » retrouve la France pour ses dernières interviews

Après les réalisateurs italien et anglais Gioacomo Abbruzzese et Giles Ripley, ce sont deux cinéastes français, Jo Vuk et Clément Tréhin-Lalanne qui se sont prêtés au jeu de l’interview …

Rencontre avec les réalisateurs de Charclo et de Aïssa

La palme du film réaliste à Charclo de Jo Vuk

Le film suit le parcours d’Andrej, jeune SDF venu d’Europe de l’est et vivant à Paris ; personnage presque muet et étrange, magnifiquement interprété par le cinéaste lui-même, il vit seul sur un quai de la Seine, s’entrainant sans relâche aux arts martiaux, en proie à des démons passés et à la violence, y compris celle des policiers qui profitent de ce sans-papiers pour décharger haine et frustration sur lui en le contrôlant pendant une nuit…

Echanges avec Jo Vuk

Au premier abord, nous étions dans l’incompréhension car les scènes du film se déroulent rapidement et la voix off n’est pas sous-titrée. Mais la caméra en mouvement donne l’impression d’être plus proche des personnages, ce qui fait ressortir ses sentiments et ses émotions ; les couleurs sombres donnent une atmosphère oppressante au film servi par un scénario original et intéressant qui aborde le thème du racisme envers les sans-papiers.

Un film fortement ancré dans le réel, empli de violence qui ne peut que nous faire ressentir de la pitié et de la compassion pour ce personnage en quelque sorte traumatisé par l’expérience de la guerre et son passé de soldat …

Rencontre avec Jo Vuk, réalisateur

Jo Vuk pendant la rencontre

Quel parcours scolaire avez-vous suivi ?

Je suis d’origine roumaine mais j’ai fait mes études à Paris. Après mon BAC, je me suis inscrit dans dans une école de cinéma privée, tout en travaillant de nuit pour gagner de l’argent. J’ai arrêté mes études au milieu de mon cursus car j’étais en désaccord avec le formatage que l’on m’imposait

Comment s’est monté le projet ?

Quelques années plus tard, j’ai décidé de réaliser mon propre court métrage, Charclo, qui a été filmé à Paris. J’ai choisi des acteurs de mon entourage, afin d’avoir un travail efficace et décidé de jouer le rôle principal.

Le film a été réalisé en une semaine, selon un emploi du temps assez chargé ; plusieurs difficultés se sont posées en raison du manque de partenaires financiers mais grâce à l’équipe qui était extrêmement motivée, nous avons réussi à réaliser « Charclo » basé sur l’auto- financement.

La réalisation de ce film a-t-elle été compliquée, en particulier pour les scènes d’arts martiaux ?

Non pas du tout ; je suis passionné par cet art et le pratique régulièrement.

Vous semblez très calme et très réservé pourtant la violence est omniprésente dans votre film , d’où vous vient le besoin de l’exprimer ainsi ?

La violence est constante en Roumanie et j’ai été imprégné par cette culture durant mon enfance.

Quelles motivations vous ont poussé à faire ce film ?

Je suis moi même bénévole dans une association pour les sans-papiers et ai souvent rencontré ce genre de personnage durant mes heures de bénévolat. Ils ont donc été une forte source d’inspiration pour cette réalisation. Ce film est donc l’aboutissement d’un projet ambitieux ainsi qu’une révolte contre les procédures d’interpellations qu’utilisent certains policiers.

Photo de groupe avec Jo Vuk

La palme du film choc à Aïssa de Clément Tréhin-Lalanne

Un superbe court-métrage abordant des thèmes d’actualité d’une manière subtile et parfois choquante. Des facettes de notre territoire dit libre, égalitaire et fraternel parfois non connues de la société

Le film Aïssa a été réalisé en France, en 2014 par Clément Tréhin-Lalanne, réalisateur français, il dure environ 8 minutes.

Ce court-métrage nous présente une des étapes humiliantes que doit subir Aïssa, une jeune immigrée congolaise résidant en France. Elle se retrouve chez un médecin, afin de faire examiner son anatomie pour « déterminer son âge », puisque l’Etat français autorise l’expulsion des immigrés âgés de plus de 18 ans ; elle dit être mineure, mais les autorités la pensent majeure.

Clément Tréhin Lalanne

A travers ce film le réalisateur a voulu aborder le thème de la douleur morale infligée aux immigrés. Les choix artistiques du réalisateur sont tels que l’on voit tout au long du court-métrage la jeune femme obligée de se dévoiler, traitée comme un animal. Il y a également un médecin mais on ne peut pas l’identifier car on ne voit pas son visage. On entend seulement en voix-off son compte rendu décrivant l’anatomie de le jeune congolaise. On voit que la jeune femme n’est pas venue de son propre gré car dans la première scène elle est escortée par un policer, ce policier représente sûrement l’Etat et il n’est pas identifié, tout comme le médecin, tout compte fait, Clément Tréhin-Lalanne ne veut pas spécialement critiquer ces personnages en particulier mais plutôt la société en général qui fait subir toutes ces atrocités aux jeunes immigrés.

Aïssa nous évoque quelques émotions fortes, comme la pitié et la compassion lorsque le médecin examine les parties les plus intimes du corps de la jeune fille, mais il nous choque également car nous découvrons à travers ce film des aspects de la société que nous ne connaissions pas et que nous trouvons scandaleux, d’ailleurs ce genre de rendez-vous médical nous rappelle assez étrangement les pratiques nazies de la seconde guerre, et nous trouvons choquant que presque 70 ans après, au XXIe siècle, sur un territoire dit libre, égalitaire et fraternel de telles pratiques soient encore d’actualité.

Hugo, Marine, Rosane et Virginie

Rencontre avec Clément Tréhin Lalanne, réalisateur

Regards Européens : Quel est le sujet principal de votre film ?

Clément Tréhin Lalanne : Mon court métrage est basé sur la vie d’une jeune congolaise , « Aïssa ». J’ai décidé de le tourner lors d’un rendez-vous médical, parce que je trouvais ces rendez-vous atroces c’est ce qui m’a donné envie de le mettre en scène. Ce sujet d’actualité n’est pas connu de tous et par ce court-métrage je voulais surtout montrer ce que l’autorité française inflige aux immigrés.

R.E : Pourquoi accordez-vous autant d’importance à ce sujet ?

C.T.L : Tout simplement , un matin je me suis levé et j’ai vu dans un journal un article sur ces tests infligés aux immigrés. Cela m’a choqué et j’ai donc eu l’idée d’en faire un court-métrage. J’ai trouvé ça scandaleux de faire passer des tests où l’on met nu l’immigré alors qu’il y a un test plus simple avec une erreur de 23 à 24 mois qui est le test de la radio du poignet. De plus les médecins devraient savoir qu’entre 16 et 20 ans on ne peut pas définir précisément l’âge d’un individu.

Lucie Mathilde et Kathleen

R.E : Quel est votre ressenti envers votre film ?

C.T.L : Pour tout vous dire, j’ai vu et revu mon film 60 fois, donc le fait de le voir comme ça si souvent je ne ressens plus rien. Mais je sais que ce film peut choquer certaine personnes car dans plusieurs scène on voit le corps nu d’Aissa. J’ai choisi de montrer ces scènes au public pour accentuer l’horreur du rendez-vous et de ce que l’on inflige à ces personnes immigrées. La société se dit changée alors qu’elle est au commande de ces tests, que c’est elle qui donne l’ordre qui donne les lois et qui expulse des sans papiers, après les mettre à nu devant un médecin froid qui n’a aucune compassion envers sa patiente.

R.E : Pourquoi avoir choisi ce lieu ?

C.T.L : J’ai choisi ce lieu froid pour représenter la situation : un bureau, une table d’auscultation. J’ai aussi voulu couper le plan du médecin au niveau du buste pour créer encore plus de gêne, de froid et de réticence. Je voulais aussi montrer ce que moi je ressens, ce que j’en pense, que ces immigrés ne méritent pas ce traitement ; ce sont des humains, ils n’ont pas à être traités comme des bêtes.

R.E : Quels étaient vos choix pour les acteurs ?

C.T.L : Je l’ai réalisé à l’aide d’un enregistrement d’un vrai docteur, qui m’a été procuré sur le site Rue 89. Cet enregistrement a été réellement réalisé pour l’examen d’une jeune immigré. J’ai juste changé la voix du véritable docteur, remplacée par celle du comédien, Bernard Campan. Pour le rôle principal d’Aïssa j’ai demandé à une jeune congolaise d’essayer de s’approprier le rôle. Elle l’a fait à la perfection car elle est du même avis que moi au sujet de ces tests.

Victor et Fiona toujours au premier rang pendant les rencontres

R.E : Combien de temps vous a t-il fallu pour votre court-métrage ?

C.T.L : J’ai réalisé mon court-métrage en 2 jours mais le montage, le son et tous les petits détails ont duré 3 à 4 heures. Ensuite le temps de trouver un producteur pour pouvoir montrer mon court-métrage le tout a duré 4 ans. Ce n’était pas mon premier film qui s’intitulait, lui, Lucien.

Pauline Valentine Garance et Pauline