Poémons-nous -14

L HOMME ET LA MER

Homme libre, toujours tu chériras la mer !

La mer est ton miroir ;tu contemples ton âme

Dans le déroulement infini de sa lame ,

Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;

Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur

Se distrait quelquefois de sa propre rumeur

Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage .

Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets ;

Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;

O mer, nul ne connait les richesses intimes,

Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

Et cependant voilà des siècles innombrables

Que vous vous combattez sans pitié ni remord ,

Tellement vous aimez le carnage et la mort ,

O lutteurs éternels , ô frères implacables .

Charles BAUDELAIRE

Les fleurs du mal

Spleen et Idéal ( 1857)

Proposé par M Bruno MONS et Mme Soazig Rius-Le Cunff